Hugo m’a tué. Abasourdi. Quelque chose d’Alaïa dans son exigence et sa façon de sculpter ses créations. ‘Hors la mode’, il retient l’exigence de la pérennité et du sur-mesure, non la saison. A 26 ans, ce créateur designer connu pour ses sacs objets suit une courbe ascensionnelle. Sa récente collaboration avec le Crillon, pour lequel il a imaginé une nouvelle garde robe l’a placé sous les feux de la rampe. Une personnalité intense et le talent brut en bandoulière, l’aveyronnais donne corps à son univers dont les sacs ne sont que la première pierre. Entretien.
Vous êtes issu d’une famille de vigneron. Comment passe-t-on de cet univers à un destin créatif comme le votre ?
Disons que tout ce qui était artistique me plaisait. Alors je me suis inscris en BTS. La mode s’est imposée à moi durant cette période. Mon stage de 8 mois en Chine, à Shanghai, où je travaillais pour de grandes centrales d’achat, a été une expérience unique et déterminante. Je devais dessiner et travailler sur des collections de vêtement de grande production. Soit l’inverse exact de ce que je fais maintenant !
A l’instinct ?
Non. J’ai par la suite effectué ma licence à l’école supérieure des arts appliqués Duperré. J’avais choisi comme thème « l’instant abscons ». C’est à cette occasion que j’ai créé mes premières pochettes en plexiglas, avec un travail de cuir à l’intérieur. Je m’étais nourri du Corps Utopique de Foucault et de Mythologies de Barthes – qui reste encore aujourd’hui un livre essentiel à mes yeux. C’est donc un peu par hasard que j’ai embrassé le monde de l’accessoire plutôt qu’un autre.
Pourquoi « l’accessoire » est-il si important pour vous ?
Pour moi, c’est la possibilité de travailler l’objet d’une vie. Pour ceux qui le portent, c’est un héritage à qui ne passera pas de mode.
Le positionnement de niche est–il une réponse à la mode actuelle qui passe vite ?
En premier lieu, la mode reste une chose de désir. Aujourd’hui, le luxe tombe dans la même logique que le PAP de masse. C’est pourquoi j’ai choisi de me tourner vers des produits très luxueux, en privilégiant le sur-mesure et un excellent service après vente. Un peu comme dans les salons de couture. Désormais je conçois beaucoup de pièces uniques.
En quoi vos rencontres avec JC Castelbajac puis Olivier Châtenet ont joué un rôle important ?
Oui, avec Jean-Charles de Castelbajac, qui m’a beaucoup soutenu. J’ai appris la couture, le travail en studio à ses côtés, un univers qui n’était pas le mien. En dernière année de licence, j’ai eu la chance de travailler après d’Olivier Châtenet (styliste et spécialiste d’Yves Saint Laurent) et de Dominique Deroche (l’ancienne attachée de presse de Saint Laurent). J’ai aidé à la préparation d’une expo YSL ; à cette occasion, j’ai eu des pièces Rive Gauche vintage entre les mains. Pour moi, c’est un génie et cette plongée dans son univers, les souvenirs que me relatait Dominique, restent uniques.
Vous fondez votre marque en 2014. Quel était votre premier modèle ?
Après un an à développer mes produits, je me suis lancé avec la première pochette, la Pia, l’une en plexiglas et l’autre en noyer. Au total, je disposais de 6 pochettes et de 3 couleurs.
Le plexiglass n’est pourtant pas un matériau noble ?
Il permet de jouer avec celui qui regarde la pochette. Selon ce que l’on y place, on délivre un message humoristique ou coquin. C’est une vitrine de nous même choisie.
Comment vous vous êtes vous fait connaître ?
Mes amis insistaient pour que je profite de la fashion week pour inviter des acheteurs. Sur 300 envois, seul Colette et Barneys m’ont répondu. En entrant chez eux, j’ai eu un coup de pub énorme. Par la suite, à l’hiver 2015/2016, j’ai eu la chance de réaliser une collaboration avec Chanel, pour une collection de gants précieux.
Puis le Crillon pour lequel vous avez créé une garde robe complète un peu par hasard,
En effet. J’étais assis dans un café avec un ami auquel je confiais que j’aurais adoré créer des uniformes. La directrice de la communication du Crillon, qui était là, m’a entendu et m’a téléphoné le lendemain. Je suis entré en lice du concours avec d’autres candidats. Ce qui est dingue, c’est qu’ils m’aient choisi sur la base de mes sacs pour faire des vêtements !
Quels étaient le brief du palace parisien et votre réponse ?
Le Crillon cherchait quelque chose qui ressemble plus à une garde robe qu’à un uniforme. Du coup, j’ai écumé les palaces ! Ma proposition reposait sur du sur-mesure et une coupe moderne. J’ai aussi choisi de remplacer la cravate ou le nœud papillon par un foulard, d’ôter le badge et de comprendre les chaussures dans la silhouette.
Combien de modèles avez vous créé ?
1090 silhouettes, soit 90 modèles pour habiller 300 personnes.
Quel est le point commun avec la conception de lignes de sacs ?
Le sourcing de matières er l’idée du sur-mesure.
Cette notion du sur-mesure est très importante pour vous. Elle est un des piliers de votre philosophie de marque ?
Sans vouloir sembler présomptueux et toutes proportions gardées, j’ai une démarche qui ressemble à Alaïa. Sculpter et produire en petites quantités. Se démarquer de la fast fashion et du rythme des collections. C’est un exemple qui me guide. Je suis d’ailleurs en train de réduire la production pour me concentrer sur des pièces uniques. Des commandes spéciales qui nécessitent de l’écoute. L’échange avec la cliente pendant ces rendez-vous me permet de progresser, d’avoir des idées nouvelles, de sortir de nos schémas culturels. De me lancer des défis !
Par exemple ?
Un sac que je vais orner de diamants incrustés dans le bois précieux.
Finalement, êtes-vous plutôt un designer ou un créateur ?
Je dirai que je suis un créatif ! J’émets des idées et leur donner corps. Je suis un amoureux de la création au sens large. Je travaille étroitement avec des artisans qui m’aident à façonner mon projet. Je vais deux fois par semaine dans mes ateliers, l’un en Aveyron, l’autre en Italie. Ce que j’aime, c’est la combinaison de l’artisanat et de la haute technologie qui permet de tenter les choses les plus folles. Par exemple de compresser de la corne de vache ou des coquilles d’huitres. Je suis un peu un chercheur de matière !
Quel serait l’ultime défi ?
De travailler les matières lourdes et rigides, comme le marbre, la roche ou le béton.
Quels sont vos projets ?
J’aimerai faire une ligne de meuble et de PAP. En fait, j’ai envie de construire une marque à l’envers – en partant des sacs pour aller aux chaussures puis aux vêtements. L’accessoire construira le vêtement. Je commence à dessiner cette ligne avec, toujours, cette idée du service sur-mesure.
Votre plus grande qualité ?
L’opiniâtreté, ma détermination à tout réaliser. J’ai le travail comme valeur.
- Interview / Judith Spinoza
- Ad / Vinz
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