ACTU MODE : CONVERSATION AVEC FRANCISCO TERRA FONDATEUR DE NEITH NYER

Übervulgaire chic attitude la photographie de sa tenue – total look en jean, santiags au pied, piercing dans le nez –, résume assez bien la chose. Francisco Terra a le grain de folie structuré. Il sait où il va et comment il y emmène sa marque Neith Nyer vers une vision populaire et savamment vulgaire du vêtement: l’Übervulgaire.

Quand Fransisco Terra prononce «Neith Nyer», sa maison qu’il a fondée à paris en 2015, c’est comme un chant du brésil. Quand il explique « sa » mode, c’est comme un poème rigoureux dans lequel il raconte sa propre histoire. Un décor vulgaire où le vulgaire est tout, sauf de mauvais goût.

Le jeune créateur utilise des mots qui claquent, des tissus qui envoient matière et couleur; il met en scène des lignes au penchant affiché pour les 80’s 90’s, qui ont profondément marqué son adolescence. On y croise les égéries de son enfance, sa mère «qui avait une allure de dingue» —, sa tante — ancien mannequin dont il a imprimé le visage dans sa dernière collection —, Cindy Crawford et des silhouettes à la ziggy stardust mâtinées de rock – leggings rayés, veste de velours violet, santiags rose, dont il vient d’imaginer la version cuissardes pour Beyoncé.

BAD TASTE BALL. Le bal du mauvais goût est le nom de son dernier défilé, librement inspiré de celui qui se tenait durant ses tendres années, tous les premiers vendredi du mois, dans son village. «J’avais 8 ou 9 ans, je me souviens des looks incroyables de mes parents. Ma mère empruntait des vêtements trop grands pour elle, si bien qu’elle faisait des surpiqûres qui moulaient son corps». Transposés à l’A/H 2018, ces souvenirs deviennent des pièces phares: une sublime veste carrée en velours côtelé violet, une robe surpiquée. «Mettre une femme en valeur, c’est savoir déranger joliment sa silhouette. C’est quelque chose qu’on apprend au quotidien, chez moi, au Brésil. Là-bas, les femmes sont des déesses». En un bout de phrase, Francisco Terra explique les fondements de Neith Nyer: une idée vivante de la féminité et une conception romantico-rebelle de la vulgarité. «En mode, il faut s’amuser, avoir le sens de l’humour, jouer avec les limites». Sus au bon goût, sus à l’ennui ! Le bon  goût, c’est une touche de mauvais goût: «une découpe de bustier qui tombe à la moitié des seins, le velours pour son côté changeant, brillant, vulgaire et un peu cheap, ou ces fameuses surpiqures qui enserrent la femme.»

ITINERAIRE. Des femmes, son enfance en est pleine, avec une place de choix pour sa grand-mère couturière, à laquelle il rend hommage par le nom de sa marque et pour laquelle il aura accompli deux rêves: «s’installer à Paris et travailler pour Givenchy, la maison qu’ils vénéraient ensemble». Avant paris, c’est l’amour de la couture qui ne résiste pas au principe de réalité. «J’ai commencé la mode en faisant un détour ! J’ai grandi dans une ville de 5000 habitants, à 3 heures de Rio. Pour gagner ma vie, j’ai choisi des études de relations internationales et suis entré à l’ONU. J’ai postulé pour un poste dans une division francophone des Nations Unies en Europe, en lien d’ailleurs avec la mode!» À 24 ans, une fois assez d’argent en poche, il fonce à paris pour s’inscrire à l’institut marangoni. À sa sortie, le jeune brésilien entre chez Givenchy comme assistant de Ricardo Ticci, puis chez Carven, aux côtés des Guillaume Henry. De l’un il a retenu «la folie de la mode et la capacité à raconter une histoire qui se détache du vêtement» ; du second, «la rigueur du détail». En 2015, le jeune homme fonde sa maison, bien décidé à proposer «autre chose».

JOURNAL INTIME PERCUTANT ET POPULAIRE. «Nous sommes dans un marché saturé. Pour me démarquer, j’ai choisi de lancer une marque qui raconte mon histoire: un journal intime à chaque saison». Pour sa prochaine collection, le jeune brésilien a choisi de parler de son arrivée en France. Lorsqu’il avait un tout petit appartement sans salle de bain et qu’il était obligé de prendre sa douche dans une piscine publique. «Je me suis inspiré des filles qui y faisaient de la GRS !» La narration de l’intime avec une bonne dose de sincérité comme clef du succès? Pari gagné. «Ma notoriété a fait un bond avec le défilé P/E 2018 (1,5 millions de vues sur Utube) qui parlait du décès de ma soeur. Je crois que ma sincérité a touché beaucoup de monde. Quelqu’un qui est assis dans les rangs du show et qui lit un dossier de presse racontant une histoire vraie, une histoire proche de tout le monde, change forcément sa vision du vêtement — et du créateur. Les gens ont besoin de cette intimité». C’est aussi pour cette raison qu’«il y a rarement des mannequins professionnels dans mes défilés, uniquement du street casting. Il faut montrer le vêtement sur des filles qui vont le porter par la suite. Je crois en la proximité entre le catwalk et le magasin, c’est un atout pour la marque qui va toucher plus de monde». Ce «vulgus narrare», signifiant «raconter à tout le monde», est la trame des créations de Francisco, le symbole de son attachement au plus grand nombre. «Je suis la rencontre de deux mondes complètement différents: la France et le Brésil, la nuit et le jour. Mes collections c’est pareil, c’est la couture et le street. Il faut créer un équilibre entre les pièces très couture, faites main et des choses plus abordables». De la couture populaire, est-ce possible ? «On peut toujours trouver un moyen. Il faut vendre du rêve, il faut que les gens comprennent que se qui se porte est unique. Ce qui est populaire n’est pas ce qui est facile, c’est ce qui peut toucher le plus de monde. Je n’aurais jamais pu ou voulu faire une collection entièrement couture».

DEMAIN LUI APPARTIENT. «La mode du futur, c’est un retour aux sources. On commence à comprendre la valeur de la jeune création, des pièces uniques. Le futur nous promet des choses beaucoup plus expérimentales par rapport aux 10 années précédentes et au mass fashion. Et j’ai envie d’en faire partie. Je crois à l’importance d’une niche plus artisanale qui permettra à la mode de prendre un autre visage». Si 70% de ses créations sont faites en interne, dans son atelier du Xième arrondissement, il vise les 100% et projette donc de s’installer dans un espace plus grand. «J’aime que tout soit proche – cela permet un accès à tout le monde et le contrôle du détail». Totalement indépendant, le créateur n’a pas de dettes et espère trouver des financements pour que sa marque et son équipe (4 personnes), grandissent doucement. Quant à être nommé à la direction d’une grande maison qui lui ferait les yeux doux… «Oui, si cela vient avec une proposition de renouvèlement d’image et la possibilité d’apporter réellement quelque chose de personnel». Lanvin, Nina Ricci… pour l’heure, c’est au cœur de Neith Nyer qu’il inscrit son identité. «L’attitude de la marque, c’est le no gender. Mes défilés mélangent des filles et des garçons qui vont porter des pièces unisexes. Je ne projette pas le look sur une fille ou un garçon, cela va se faire d’une façon organique lors de l’essayage. Je ne crois pas en la limite entre le garçon et la fille pour s’habiller. Moi-même, je fais 90% de mon shopping chez les femmes: c’est plus fun, plus unique. C’est la liberté de ne pas avoir besoin de se coller un label». on endosserait pourtant bien le sien pour éviter d’être vulgairement banal.

http://neithnyer.co

  • Interview / Judith Spinoza
  • Vidéo / Alexandre Silberstein 
  • Produced / 1nstant.fr

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