Un crayon, c’est tout bête, mais c’est un peu le symbole du parcours de Nadine Ghosn, qui a choisi la joaillerie comme terrain de jeu.
Quand en 2016, elle lance sa marque de bijoux, ce ne sont pas sautoirs précieux ou boucles d’oreilles diamantées qu’elle met au menu. Pour elle, ça sera plutôt sushis, les écouteurs d’iPhone, des messages piquants et un étonnant semainier burger (qui existe aussi en version véggie, rassurez-vous) qui va lancer la machine du désir. « J’ai lancé le burger au moment où si tu n’avais un burger au menu, tu n’étais pas un restaurant digne de ce nom. Et si tu n’en postais pas sur Insta, pas la peine de te suivre » raconte-elle en mangeant un très sain muesli maison.
Banco quand même: Beyoncé s’affiche avec la B.O. Shut Up, Colette met en vitrine son menu du moment. Cet automne, avec sa collection Too Cool For School, c’est Moda Operandi qui la met à l’honneur tandis qu’elle devient la première créatrice de joaillerie à signer un partenariat avec les fameux stylos BIC.
Des burgers, des sushis, une paire d’écouteurs et maintenant une trousse d’écoliers. D’où te viennent ces idées très diverses ?
La plupart des gens font quelques changements au best-seller de la saison précédente et s’en tiennent à ce qui fonctionne. Ce n’est pas ma démarche. J’espère être reconnue pour l’audace de faire quelque chose de différent, même si le client a besoin de temps pour s’habituer aux nouveautés.
Mais des crayons, on en a tous déjà.
Justement ! J’aime l’idée d’objets très ordinaires, qui inspirent des émotions positives aux gens, avec lesquels on peut jouer. Mes inspirations sont des produits qu’on croise au quotidien, vus sous un autre angle. On peut s’y identifier. Le crayon est un objet fort : si simple, si abordable. Tout en monde en a eu un entre les mains. Mais le crayon est une forme d’expression. Pour moi, il représente l’école, l’apprentissage. Je crois en l’apprentissage continu, qu’on ne cesse jamais d’apprendre.
C’est quoi ta recette pour tes créations ?
Il faut être au bon endroit au bon moment. De nos jours, les gens veulent être différents, avoir des objets qui parlent de leur personnalité et qui sont différentes. Les femmes ont aussi pris la liberté d’acheter leurs propres bijoux, d’en faire la manifestation de leur caractère, alors qu’avant c’était quelque chose qu’on recevait.
Tu as fait des études d’économie à Stanford, et pourtant, tu as choisi de te lancer en indépendante en joaillerie. Pourquoi ?
Je vais t’expliquer la logique derrière ce choix. J’ai toujours ressenti cet élan vers la créativité mais j’ai fait des choix plus raisonnables et pris un chemin plus business pour mon début de carrière, tout en gardant art, et fait pas mal de stages en mode.
Tout ça a basculé quand j’ai intégré un programme chez Hermès, au cours duquel j’ai eu l’opportunité de m’orienter selon mes choix. Il y avait les cuirs, la soie mais j’ai choisi la joaillerie.
J’avais toujours aimé les bijoux, avec en tête le souvenir de ma grand-mère illuminait ses tenues juste avec quelques pièces précieuses. Mais ce n’était pas un produit sexy à l’époque. Il n’y avait que les grandes maisons et pour ainsi dire pas de marques créatives. Cette décision a non seulement nourri mon intérêt mais surtout m’a montré qu’il y avait de l’espace dans ce domaine si fragmenté, et qu’il y avait quelque chose à faire à des prix plus accessibles.
Mais le luxe, ce n’est pas exactement être accessible, si ?
La simplicité est la plus belle forme de luxe. Tout est une question de perspective. Un produit très différentié et pourtant simple est très fort. Les marques de luxe qui ont réussi sont assez simples. Loro Piana est simple. Hermès est simple. The Row est simple. Chacun propose des produits qui apparaissent basiques et qui pourtant sont très raffinés et sont le fruit d’une grande réflexion.
Et qu’est ce qui t’a fait sauter le pas pour créer ta marque ?
Il y a deux choses qui me passionnent par dessus tout : comprendre un produit de A à Z, et soutenir mes racines libanaises.
A la fin de mes deux ans chez Hermès, il n’y avait de poste disponible en joaillerie. Je ne voulais pas prendre un poste pour prendre un poste. A la même époque, j’ai rencontré un fabricant au Liban qui m’a expliqué qu’une grande partie de ses savoir-faire allaient disparaître, entre la délocalisation et le manque de transmission.
J’y ai vu une opportunité d’apprendre quelque chose de tangible et d’avoir un impact social. A 24-25 ans, je n’avais aucune idée de ce que j’étais en train de faire. Mais je me suis dit que c’était le bon âge pour prendre ce risque. Je ne savais pas où j’allais mais je me suis dit que je ferais de mon mieux.
Et ça t’a mené où ?
Ça a été dur d’être pris au sérieux car je ne venais ni du métier, ni d’une famille de joaillers. J’y avais effleuré le sujet chez Hermès, mais il a fallu tout apprendre : l’achat d’or, négocier les coûts, savoir quelle proportion d’or est perdue, quelle est la chaîne d’approvisionnement. Quels salons, qu’est ce qui s’achète et s’y vend.
Quelle est ta mantra ?
Je crois qu’on rate 100% des occasions qu’on laisse filer.
Qu’est-ce qui te plaît le plus ?
Le fait de dessiner quelque chose qui devient réalité, qui est porté. Il y a quelque chose de très intime dans ce processus. Une chose qui me fait vibrer, c’est de voir comment mes clients s’approprient mes pièces. Savoir qu’il y a quelque chose en elle qui résonne en eux, qui les fait entrer dans leur histoire personnelle, c’est très fort. Créer me fait ressentir une connexion aux gens. Si ce qui m’intéressait c’était faire du chiffre, j’aurais choisi un domaine dans lequel faire du volume.