100% de Commission

La marque de Jin Kay, Dylan Cao et Huy Luong est le manifeste d’une identité asiatique radicalement contemporaine loin des clichés et des préjugés. Rencontre.

Lorsque les trois créateurs de Commission se sont rencontrés, ils avaient chacun leur diplôme de la Parsons en poche depuis quelques mois et travaillaient séparément pour les marques qui font mouche dans la capitale de la mode Outre-Atlantique. Leur langage créatif commun les rapproche immédiatement.

Si tous trois sont désormais new-yorkais, ils avaient en tête non seulement leurs origines mais surtout leurs mères avec cette dichotomie entre leurs tenues de « working woman » chic et pratiques, et un amour du style mâtiné des codes des années 80 et 90. « Nous avions tous commencé à travailler pour des marques différentes et nous nous sommes rendus compte que nous voulions chacun créer une marque qui reflète la culture asiatique de manière fraîche et authentique, » dit volontiers le trio, qui parle souvent à la première personne du pluriel, comme pour rappeler qu’ils se voient comme les représentants d’une diaspora multiple et maintes fois multiculturelle.

Commission et son nom en forme de clin d’œil ironique au travail en freelance endémique dans la mode, c’est une esthétique fin-de-20ème-siècle, avec ces coupes acérées, ces couches superposées presque seconde-peau. Osons-le, un croisement entre Helmut Lang, Matrix et les avocates de Nineties, revu et corrigé par les matières et imprimés floraux qui ont hanté l’enfance de ces trois créateurs new-yorkais. Translaté en 2020, c’est une impression d’élégance pratique et cérébrale, délivrée avec humour. C’est ainsi qu’on va retrouver pêle-mêle une blouse sérieuse, une robe fleurie d’un imprimé opulent mais piqué à une nappe familiale, une bandoulière en guise de passementerie qui rappelle la bandoulière omniprésente des sacs à main maternels, ou même cette découpe à la taille, vestige d’une banane dans laquelle se glissaient papiers et moyens de paiement. Bref, le genre de femme qui se croise dans les galeries d’art ou qui conduit une réunion avec maestria et sans brutalité aucune.

Et ce qui au départ était un projet de marque de mode est devenu au fil des saisons une constellation de multiples projets soulignant le style et la beauté de la diaspora asiatique globale. « C’est une progression dont nous sommes fiers, » ajoutent-ils. Car si flotte un vague air de nostalgie façon Wong Kar Wai sur ces silhouettes à la carrure définie et pourtant fluide, ce n’est pas tant par envie de rendre hommage au passé que par celle de transcrire l’identité contemporaine et cosmopolite de la femme asiatique. « Il y a tellement plus dans [notre] culture que des motifs de fleurs de lotus et de dragons. »

1. Pourquoi choisir ce tournant des années 90 comme point de référence esthétique ?

Les souvenirs de nos mères à cette époque sont au cœur de la marque. Les regarder se préparer et revenir du travail a eu un impact majeur sur chacun d’entre nous. Elles se faisaient toutes confectionner des vêtements sur-mesure, avec ces imprimés et couleurs très marquantes des Eighties et Nineties. On y voyait beaucoup les influences occidentales dans les silhouettes et la forme, mais reformatées pour s’adapter à leur carrure plus menue.

2. Plusieurs de vos projets autour de la féminité, comme Commission Femmes et Commission 1986, autour de photographies des mères de votre communauté, peuvent se lire comme le portrait d’une féminité asiatique. Pourquoi cela faisait-il sens pour vous ?

Nous avons voulu faire de Commission une marque globale, et le point de départ d’un projet comme Commission Femmes était, et est encore, de documenter l’essence des femmes d’aujourd’hui, où qu’elles soient dans le monde. En les habillant en Commission, nous voulions réaffirmer l’univers visuel que nous créons au travers de la marque mais aussi nous aider à donner corps à notre volonté de capturer la modernité dans nos choix, au travers d’une célébration de la beauté et de l’énergie de ces femmes. Cela devait avoir l’air réel, dans le sens où il devait être plausible que ces femmes possèdent ces pièces dans leur vestiaire et qu’elles les portent.

D’ailleurs, plusieurs d’entre elles portent des pièces qu’elles ont effectivement commandées. Pour les autres, nous les avons encouragées à choisir leurs imprimés ou coupes préférées, les pièces qui leur parleraient. Notre affection pour la beauté asiatique n’est ni accidentelle ni acquise, et nous savons depuis le début que nous faisons partie d’une génération qui est responsable et capable de raconter l’histoire de notre héritage de manière sincère et nuancée, en cohérence avec la réalité. Et nous ne pouvons pas le faire sans un effort continu pour amplifier l’importance de l’Asie et notamment de l’identité est-asiatique. Donc oui, il y aura toujours en filigrane ce portrait de la femme asiatique dans tous nos projets.

3. Pourquoi avoir choisi 1986 pour parler de la génération de nos mères. Que représente cette date ?

Le projet s’est imposé à nous en constatant le caractère unique mais également la cohérence singulière de matière de style et de grâce de toutes ces mères, des femmes de tous horizons et souvent immigrées. Il y a eu ce sentiment de beauté accidentelle dans ces photos, envoyées par amis et connaissances de manière spontanée, de leurs mères avec une allure ou une attitude qu’ils considéraient très « Commission ».

Ensuite, regrouper ces beaux fragments de mémoire a pris un côté délibéré, leur donnant un espace pour exister et montrer la joie de ces femmes qui s’amusaient avec leurs vêtements, la mode et le style. Nous avons voulu rester dans cette période avant l’an 2000 parce que nous pensons qu’il y avait un langage distinct dans les codes vestimentaires de chaque décennie qui précède les juxtapositions plus chaotiques du 21ème siècle. Et cela contribue à amplifier ce sentiment de nostalgie au travers des coupes de cheveux et des vêtements, des imprimés ou même de ces sourires un peu gênés et des regards hors-champs dans des portraits de mariage ou en studio

4. Pourquoi la femme asiatique est-elle restée en retrait jusqu’à présent ? Quels sont les clichés que vous essayez de combattre au quotidien ?

Répondre pleinement à cette question nécessiterait une conversation longue et très en profondeur, donc nous nous en tiendrons à notre perception dans l’univers de la mode.

La femme asiatique et la représentation de la beauté asiatique a toujours été présente mais limitée, et d’une certaine manière, incluse uniquement de manière symbolique. Elles n’ont jamais été sous les feux de la rampe, tout de même présentes sur scène, jamais trop loin mais jamais directement sur le devant de la scène. Dans un espace qui est majoritairement blanc, avec des normes de beauté majoritairement blanches et une mode qui s’est transformée en culture mode également blanche, mettre en avant une réalité inclusive est essentiel. Ce qui est particulièrement urgent à l’heure actuelle, par exemple, est de redonner leur place à la femme noire, la culture noire et la beauté noire, trop souvent exploitées au nom de la diversité sans que les communautés qui en sont les dépositaires légitimes soient reconnues et reçoivent ce qui leur est dû. C’est un combat juste et urgent qui ne doit pas être oublié.

Pour ce qui est des femmes ou mannequins asiatiques, elles sont un peu perdues dans le lot, [celle qu’on rajoute pour dire qu’on a fait attention à la diversité]. Quand on parle de clichés, en voici un que nous voulons combattre : l’utilisation de la beauté asiatique et de la culture asiatique de manière symbolique. Il faut qu’elles aussi soient pleinement représentées, sans clichés et sans appropriation. Nous voulons créer une plateforme où cette richesse peut être célébrée de manière réfléchie et où les femmes asiatiques peuvent se sentir fortes et importantes, pour qu’elles prennent leur place et soient reconnues. Un commentaire discret et timide que nous font nos mannequins sur le projet Commission Femmes est qu’elles sont ravies mais également surprises de se voir ainsi ainsi mises en lumière, alors que cela n’avais jamais été le cas, pas de cette manière en tout cas. Elles nous disent « je ne savais pas que j’aurais l’air aussi ‘bien’ ». Et par bien, nous avons qu’elles veulent dire ‘belles’.

Comments (1):

  1. christine lerche

    19 juin 2020 at 18:47

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