Le paradigme de l’art contemporain
genre / essai extrait choisi
“ l’art contemporain repose sur la transgression des frontières de l’art telles que les perçoit le sens commun ; et que les institutions, en acceptant voire en encourageant ces transgressions, sont au principe d’un “paradoxe permissif” entraînant une radicalisation des propositions artistiques” p55
5 bonnes raisons DE SE PLONGER dans ce livre
1/ Nathalie Heinich est une sociologue travaillant sur l’art contemporain. Elle s’inspire de Erving Goffman et de sa méthode, celle de retenir l’anecdote à la condition d’être un élément disruptif “ une entorse à la normalité du monde”. Cette approche offre au lecteur un récit vivant. Elle articule sa réflexion autour de la notion de paradigme. Une structuration des concepts pratiqués à un temps donné, qui “ s’impose au prix d’une rupture avec l’état antérieur du savoir”. Le changement de paradigme affecte la définition des oeuvres, la description, la catégorisation, la valeur de beauté et le jugement de goût.
2/ L’art contemporain redéfinit de manière radicale les valeurs artistiques. “ C’est un art de la rupture, de la transgression des frontières de l’art, des valeurs morales”. La singularité est supérieure à l’originalité elle même supérieure à la conformité aux traditions. Elle définit l’art de notre temps, comme une exergue de la “ singularité, de la significativité et de l’intentionnalité”. C’est un art qui utilise tous les types de matériaux. L’affranchissement de la toile, du socle a été dépassé par l’art moderne et a permis aux artistes d’ouvrir de nouvelles portes. “ L’idée est supérieure à la réalisation” ce qui fait de l’art contemporain le plus intellectuel jamais produit.
3/ Un art marqué par l’internationalisation, produisant un art pluriel. Les arts plastiques supplantent les beaux-arts. Dans l’art actuel, “ Un peintre qui ne fait “ que de la peinture”, sans faire en même temps un discours sur la peinture, ne peut-être qu’un imposteur.” p41
4/ L’art contemporain peut aussi prendre les traits d’un art spectaculaire et sensationnaliste. Il se caractérise alors par un haut niveau de visibilité et de plus-values marchandes. L’artiste devient un entrepreneur dont un des savoir-faire est de faire travailler les gens ensemble. Il est un manager. Un art multipliant les accointances avec le luxe et l’élite. “Grâce à son accessibilité et ses références à la culture populaire, il séduit un public de “nouveaux riches” sans exiger d’acculturation artistique”.
5/ Sous l’égide de l’art contemporain, les acteurs du marché et leurs rangs d’influenceurs ont évolué. Les foires ont supplanté les salons. Les commissaires/curator ou critiques sont montés en puissance, les historiens d’art ont perdu de leur influence. Les lieux d’expositions comme prise de risque de découverte de l’art de demain sont aujourd’hui aux mains des centres d’art, FRAC. Quant aux grandes galeries, pour la plupart, elles sont devenues des centres de profit représentant des artistes “bankable” – Ne pas manquer “ le voyage de Murakami” relaté par Sarah Thornton p 79 où la place occupée physiquement dans l’avion devient symptomatique du rang de chacun.
Le paradigme de l’art contemporain – Structures d’une révolution artistique par Nathalie Heinich, Bibliothèque des sciences humaines – NRF – éditions gallimard. 344 pages – 2014
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Betty Catroux / Yves Saint Laurent / Féminin singulier
genre / mode extrait choisi
“ Femme entretenue, fière de l’être, Betty Catroux incarne paradoxalement la liberté. La liberté d’avoir choisi de ne pas travailler, de traverser l’existence comme bon lui semble, de prendre le risque de faire ce qui lui plaît, d’être silencieuse parce que ça sonne plus juste. La liberté de s’habiller en homme parce qu’elle se trouve plus intéressante comme ça, d’aimer sans séduire, de séduire sans aimer, d’étreindre les nuits et rentrer chez elle au petit matin.” p 17 La désinvolture divisée par Olivier Lalanne.
5 bonnes raisons de REGARDER ce livre
1/ Un livre très réussi, autour d’une femme avec un air de rien ou de tout, dans tous les cas fascinante. Betty Catroux était une des deux muses, égéries de Monsieur Yves Saint Laurent, statut qu’elle partageait avec Loulou de la Falaise. Betty, c’est une allure incontestable, indémodable, avec les effluves d’un spleen persistant. Un faux air de s’excuser de ne pas être consciente de là où elle traîne et avec qui.
2/ Betty c’est une posture, une manière de tenir sa cigarette, un port altier où cependant la banalité semble voisine. Une taille grande, une longueur qui semble délicate. Un air enfantin et une capacité à faire des bétises, comme un enfant aime les faire avec son meilleur ami, Yves. Ils allèrent jusqu’à partager le même surnom “ Pulu” – temple de leur monde à eux, dans lequel ils semblent naviguer là où la fête, la séduction, l’alcool et les drogues ont leurs privilèges.
3/ L’allure, ce talent inné, un don donné par les Dieux, Betty n’avait pas de pareil pour investir le vestiaire masculin et le rendre si sexy, féminin, déluré, amusant. La voir p 101, 102 dans un tailleur pantalon au tombé magique, à l’épaule majestueuse, les lunettes glissées à la taille dans la ceinture. L’allure cache souvent du décalage.
4/ Au fil des pages, Betty vieillit, retouchée un peu par ci, un peu par là, mais elle garde sa superbe, apparaissant telle une lionne p 133, créature démiurgique mi-Putman, mi-déesse, lunettes noires, blouson de cuir, blond couleur blé blanchi, elle règne toujours même si Pulu n’est plus là.
5/ Même si à la fin de sa vie, elle confie partager avec Pierre Bergé, son amour de demain plus que celui d’hier, le futur plus que le passé .Pour une âme sensible au spleen, c’est un beau pied de nez.
Betty Catroux Yves Saint Laurent / féminin singulier – Gallimard/ Musée Yves Saint Laurent Paris 181 pages – 2020 – très jolie maquette et beau travail d’impression. Ne manquez pas l’exposition à la Fondation sur Paris 🙂 Achetez vos livres chez votre librairie de cœur 🙂
Andrée Putman – la diva du design
genre / biographie extrait choisi
“ Réputée, dès sa célébrité naissante, pour la légèreté de ses bagages, cette jet-setteuse n’enregistrait jamais rien en soute, voyageait avec un mini sac à dos et cinq kilos maximum à l’épaule. Chez elle, pas d’armoire, de placard ni de commode, encore moins de dressing, cela aurait nui à l’épure du loft de la rue de Savoie ; juste un portant à vêtements, “extraordinairement beau “ bien sûr, “ du XIXe siècle, en cuivre, complètement fou, très très luxueux”. Les contrastes toujours. Le luxe ET le dépouillement…” p 69
5 bonnes raisons de DÉCOUVRIR ce livre
1/ S’atteler à écrire un livre sur Andrée Putman, n’est pas exercice aisé. La raison en est donnée dans le titre “diva du design”. On ne peut s’empêcher de ressentir une “omerta” autour de ce personnage hors du commun, Phoenix à jamais. Les confessions sont discrètes, il semble important de préserver le mythe ou de ne pas traduire trop de fêlures dans le récit, soit.
2/ Andrée Putman nous est décrite comme un personnage de théâtre, ambitieuse, certaine d’avoir à jouer une partition dans ce monde. Elle construit petit à petit son image de grande “prêtresse du style”. La famille possède l’abbaye cistercienne de Fontenay où épure, droite ligne, équilibre dans le dépouillement constitueront la mécanique de l’oeil d’Andrée.
3/ Elle cumulera plusieurs vies, commençant comme “grouillot” chez l’ancêtre de Femina, puis elle rejoint l’équipe de Denise Fayolle chez Prisunic avec comme étendard revendiqué “ le beau pour tous”, où “ elle patrouille en tête chercheuse”. Elle écrira à la revue “ Oeil”, puis s’associe avec Didier Grumbach autour d’un projet Créateurs & Industriels, concept store avant l’heure. Elle crée Ecart son agence d’architecture d’intérieure et de diffusion de mobilier en 1978, la vend en 1991. La société sera liquidée en 2011. Rien n’est simple dans son ascension, est-ce la raison pour laquelle elle semble si diva par peur que tout s’arrête ?
4/ Il y a incontestablement un “ style Puman” comme l’écrit Sylvie Santini, “ l’incarnation d’un intemporel bon goût français”. Un style, un oeil nourri aussi par son ex-mari, Jacques Putman, “son passeur, son éclaireur (…) son initiateur à l’art”. Le mariage n’est pas heureux, il est scellé par la naissance de deux enfants. Jetez un oeil à la photographie p 100, où l’artiste Bram Van Velde pose avec Jacques et Andrée. Elle a assurément dans ces photos une volonté affirmée de maîtriser sa mise en scène et son image.
5/ La lumière ne se partage pas chez Andrée Putman. Sylvie Santini lève le voile avec douceur, sur ses hommes, souvent ses numéros deux, qui doivent rester à leur place et ne surtout pas signer leurs créations au service de la grande Dame. Ils la quitteront, souvent pour voguer sous des cieux plus personnels et valorisants. Il reste de ce récit, une trace, celle assurément d’une grand dame aux failles certaines et au talent incontesté.
Andrée Putman – La diva du design par Sylvie Santini chez Tallandier – 273 pages – 2020 Achetez vos livres chez votre librairie de cœur 🙂