L’IA et lui
Paul Mouginot fait partie de cette sorte de gens à part qui ne se mettent pas de barrières. Son profil atypique, qui lie sciences de l’ingénierie, commerce et dimension artistique évoque celui de Virgil Abloh, autre personnage touche-à-tout et difficile à mettre dans une boîte qui gravite dans l’univers de la mode. Il comprend très jeune qu’il est important de connaitre les langages de différents univers pour les faire communiquer et échanger entre eux. Dans ce but, il suit des études d’ingénieur et ensuite de commerce. Parallèlement, il se trouve un job d’étudiant en tant que photographe pour le magazine Purple. Grâce à Youtube, il apprend à faire des photos de défilé et se rend vite indispensable. Le jour, il converse avec des grands patrons, le soir il échange avec des designers. Il comprend qu’il y a beaucoup de choses à faire pour lier la mode et le digital. Alors, il créé DACO (Data Company ndlr) en 2015, qui permet d’utiliser l’IA au service de la mode. Un carton ! Entretien.
Pourquoi avoir créé DACO ?
Au moment de créer une collection de mode, on réalise ce que l’on appelle un benchmark pour positionner la marque au mieux sur un segment. Pourtant en 2015, quand je me suis lancé, il n’y avait pas d’outil permettant de faire ce benchmark. A l’époque, le secteur de la mode n’était pas encore touché par la data. Alors, avec des associés, on a créé DACO pour faire du benchmark concurrentiel.
Quel était le principe ?
Simple. Grâce à des robots, on a créé une technologie qui permettait de stocker les données de tous les produits vendus sur des sites des marques, et d’affiner au point de permettre de comparer deux produits de marques différentes sans avoir besoin de recourir à un être humain pour cette tâche. On a pu automatiser le classement de millions d’images, très détaillées, pour les comparer entre elles. Terminé l’emploi de stagiaire pour cette tâche, la machine classe l’intégralité.
Étonnant pour une entreprise dans la tech telle que la vôtre, vous avez cette spécificité de ne jamais avoir levé de fonds. Pourquoi ?
A l’époque il y avait une glorification des levées de fond, mais nous on a opté pour ce qu’on appelle dans le jargon un « bootstrap », c’est-à-dire qu’au début on a fonctionné sur nos économies. Comme l’IA était en émergence, on ne voulait pas perdre le contrôle à trop devoir écouter un fond qui ne connaissait rien à la technologie et nous demandait de faire rapidement du chiffre d’affaires. Grâce à cette attitude, on a pu financer de la recherche et développement, et trouver notre marché.
Puis, en aout 2018, vous avez vendu votre entreprise à Veepee (ex- Ventes Privées ndlr). Comment expliquez-vous ce succès ?
On avait une bonne technologie qui permettait un véritable avantage concurrentiel. En mélangeant nos données à celles de Veepee, on leur donnait de meilleurs arguments pour négocier leurs achats de stocks. Par exemple, on leur fournissait des informations pour savoir comment tel produit s’était vendu pendant la saison. C’est un outil de négociation qui leur permettait d’acheter un produit 4€, plutôt que 5€. On leur faisait faire des économies. Pour arriver à avoir cette finesse d’analyse, il leur fallait notre technologie. Autre élément de notre succès, la débrouillardise. Aucun d’entre nous ne venait du milieu de la mode, on s’est pourtant débrouillé pour qu’on parle de nous dans cette industrie en commençant par établir des liens avec les institutionnels (IFM, DEFI, Fédération du PAP ndlr), on a intégré des panels et on a aussi écrit des gros articles d’analyse qu’on donnait ensuite aux publications spécialisées.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, ça fait trois ans que je travaille au département « pricing » chez Veepee, où j’ai piloté la transition numérique de l’équipe en place, qu’on a formé aux nouvelles technologies, et notamment à écrire des codes et piloter des robots. Un vrai challenge. Parallèlement à ça, j’ai monté un collectif créatif baptisé aurèce vettier.
Quel en est le principe ?
Très jeune, à l’âge de dix-huit ans, j’ai rencontré des collectionneurs d’art qui m’ont initié et révélé à quel point une œuvre d’art modifiait l’énergie dans laquelle on vit, que ça aide à réfléchir… ça me fascine. Je suis du coup moi-même devenu collectionneur. Je me dis que ces œuvres sont autour de moi parce qu’elles permettent d’exprimer ce que je n’arrive pas à faire avec des mots. Bref, cette affinité pour l’art, je m’en suis servi pour faire des expérimentations avec l’IA.
C’est-à-dire ?
Je sais comment l’IA fonctionne et réagit quand on la nourrit, c’est mon métier. Alors, j’ai commencé à travailler à un premier projet, un ouvrage de poésie baptisé Elegia Machina, écrit en collaboration avec un algorithme. Comment ça marche ? J’ai fait absorber à l’IA un certain goût pour les poètes, Baudelaire, Apollinaire… et ensuite elle a généré un ensemble de mots qui a le vocabulaire et l’ambiance de ces poètes. J’ai sélectionné des blocs de phrases et je les ai assemblés. Je trouve ça intéressant de travailler avec le cadre technologique car, seul, je n’aurais jamais pu partir d’une page blanche. J’ai pu par la suite transposer à d’autres médiums, la peinture et la sculpture. Je ne l’avais pas prévu, mais je fais désormais aussi de l’art numérique.
Les algorithmes et la mode par Paul Mouginot
Avec les algorithmes et plus particulièrement l’IA, on peut faire trois choses :
- On peut créer des segmentations et ainsi mieux cibler des groupes de gens qui ont des comportements similaires. Résultat, on arrive à segmenter sur la base de critères complexes, et non plus seulement sur des critères d’âge.
- On peut prédire des comportements, comme par exemple avec des voitures autonomes.
- On peut générer des formes ou même un poème comme le travail que je réalise avec aurèce vettier. Sans être pareil, on créer une forme qui s’inspire.