Javier Goyeneche : « Nous avons retiré plus de 1 700 tonnes de déchets des océans »Cette année, Ecoalf, pionnière du sportswear durable, célèbre ses 15 ans. Sa force ? Transformer les déchets collectés dans les filets des pêcheurs en vêtements. Rencontre avec son fondateur, l’Espagnol Javier Goyeneche.
Ressourcer, recycler, upcycler, valoriser les matières dormantes… Des pratiques
devenues tendances aujourd’hui, direz-vous. Mais pour Javier Goyeneche, elles étaient déjà des évidences il y a 15 ans, lorsqu’il créa Ecoalf. Grand au sourire chaleureux, cet ancien fondateur des accessoires Fun & Basics est devenu, au fil des ans, un fervent activiste. Pour lancer sa propre marque de vêtements, il lui fallait donc un changement d’envergure ! En longeant les côtes espagnoles, il rencontra des pêcheurs qui, en relevant leurs filets, ramenaient autant de déchets que de poissons
frais. Une idée lui vient alors : transformer ces bouteilles, gobelets et sacs en plastique en imperméables, doudounes, pulls et pantalons. Ainsi naît l’un de ses projets phares : Upcycling the Oceans, mobilisant des milliers de pêcheurs à travers l’Europe. Si son vestiaire séduit les sportifs, il s’adresse également à un public féru de mode avec sa collection ONEPOINTZERO, dont il nous en dit plus.
Quel a toujours été votre rapport à la mode ?
J’ai toujours été passionné par l’industrie de la mode, ce qui m’a poussé à consacrer ma première entreprise aux accessoires. Déjà à cette époque, je percevais le potentiel du design pour communiquer des valeurs. Mais ce n’est qu’avec Ecoalf que j’ai commencé à voir les vêtements comme un moyen de créer des changements et de sensibiliser l’opinion publique.
Diriez-vous que cette sensibilité écologique a toujours fait partie de vous ?
La naissance de mes fils m’a sensibilisé aux enjeux environnementaux et au monde que je voulais leur laisser. En voyant la mode rapide épuiser les ressources et créer des déchets, j’ai voulu offrir une alternative durable. C’est ainsi que j’ai lancé un projet de produits recyclés, alliant qualité et design, à la hauteur des meilleurs produits non recyclés.
Prêtiez-vous déjà attention aux vêtements que vous portiez ?
À l’époque, je ne réalisais pas pleinement l’impact de mes choix vestimentaires sur la planète. Aujourd’hui, je sais que chaque achat que nous faisons est un vote pour l’avenir que nous voulons. Lorsque j’achète, je recherche des modèles intemporels fabriqués avec des tissus recyclés et mono-matériaux de haute qualité, afin que les vêtements ne soient pas seulement recyclés, mais qu’ils durent plusieurs saisons et puissent être recyclés à nouveau à la fin de leur cycle de vie.
Lorsque vous lancez votre marque 15 ans en arrière, quelle est votre profonde
ambition ?
Je voulais créer une marque de mode vraiment durable en évitant de puiser dans les ressources naturelles pour préserver celles des générations futures. Mon objectif était de dépasser le modèle classique de l’industrie en privilégiant la responsabilité environnementale, même si cela impliquait de bousculer les normes. Avec le temps, je réalise qu’il était essentiel de rester fidèle à cette vision malgré les doutes et les défis.
Comment l’aventure Ecoalf commence-t-elle ?
En 2009, les matériaux recyclés étaient rares dans la mode et souvent de mauvaise qualité. J’ai passé trois ans à voyager jusqu’à rencontrer une femme à Paipei, qui transforme des bouteilles PET usagés en tapis. C’est ainsi qu’est née notre première collection de vêtements recyclés ! Plus tard, un pêcheur en Espagne m’a invité à bord de son bateau, où j’ai vu que ses filets contenaient autant de déchets plastiques que de poissons. J’ai ainsi monté le projet Upcycling the Oceans, en convainquant trois pêcheurs de conserver les déchets —des sacs, des gobelets et des bouteilles en plastique— plutôt que de les rejeter à la mer. Aujourd’hui, 4 000 d’entre eux, en Espagne, en France, en Italie, en Grèce et en Égypte, y participent ! Nous avons déjà retiré plus de 1 700 tonnes de déchets des océans. Notre objectif étant de collecter 1000 tonnes de plastique par an d’ici 2025. Les pêcheurs ont immédiatement adhéré au projet.
Comment le perçoivent-ils ?
Je leur en suis incroyablement reconnaissant. Ils sont profondément engagés, motivés par leur amour de l’océan et la conviction profonde que c’est la bonne chose à faire. Notre travail ne se limite pas à transformer des déchets en vêtements : nous collectons tout ce qui se prend dans leurs filets, même si seuls 10 % de ces déchets sont des PET réutilisables. Le reste est trié : 68 % sont recyclés, mais 32 % finissent en décharge faute de solution. Ce projet me tient à cœur parce qu’il ne s’agit pas juste de raconter une belle histoire, mais de prendre des actions concrètes pour agir. Bien que nous ne
puissions pas tout régler seuls, notre mission est d’éveiller les consciences et de susciter un vrai changement.
Qu’était-il important pour vous de ne pas reproduire en tant que marque de
vêtements ?
Le modèle de l’achat-vente… Une nouvelle mode chaque semaine, et des promotions continues épuisent nos ressources naturelles et génèrent des milliers de tonnes de déchets textiles qui partent à la décharge chaque mois. Nous nous engageons à proposer des produits intemporels, à privilégier la qualité à la quantité et à ne pas participer aux promotions et campagnes permanentes telles que le « Black Friday », basées sur un modèle d’achat impulsif qui génère beaucoup de déchets.
Commercialement, ce n’est peut-être pas la solution la plus correcte, mais elle est conforme à notre objectif.
Comment une marque de mode peut-elle devenir véritablement durable à vos
yeux ?
La véritable durabilité dans la mode consiste à établir un système en boucle fermée, où les produits sont créés à partir de matériaux recyclés et à faible impact, conçus pour durer et pouvant être recyclés à la fin de leur cycle de vie. Chez Ecoalf, nous évitons de mélanger fibres synthétiques et naturelles dans un même tissu, car cela complique le processus de recyclage. C’est pourquoi 70 % de notre collection est conçue en mono-matériau, favorisant ainsi la circularité.
Vous venez de lancer ONEPOINTZERO, une collection chic et intemporelle de
vestes et manteaux. Quelle est sa particularité ?
C’est un projet pilote axé sur l’éco-conception et la circularité. Contrairement aux tissus mélangés, ces pièces sont faites de deux couches distinctes : du polyester recyclé et de la laine recyclée, pouvant être séparées et recyclées. Les étiquettes et fermetures à glissière sont en polyester, et les boutons sont biodégradables. Bien que ce fut un défi, nous sommes fiers des résultats en termes de durabilité et de design, et nous souhaitons en faire un modèle pour nos futures collections.
Qui habillez-vous ?
Le Prince William a porté une chemise Ecoalf pour l’Earthshot Prize, et la famille royale espagnole choisit également parfois la marque. Des célébrités comme Jennifer Lawrence, Richard Gere, Eva Longoria et les frères Bardem l’ont également soutenue ! Ce qui rend Ecoalf unique, c’est sa capacité à plaire à tous les âges : une famille peut entrer dans un magasin et trouver des manteaux Ecoalf pour la grand-mère, la mère et la petite-fille.
Quelle vision avez-vous pour l’avenir d’Ecoalf ?
Je suis fier que nous restions fidèles à nos valeurs depuis le début, et j’espère que ce sera toujours le cas dans 15 ans. Nous avons élargi notre offre avec une ligne sportive et une ligne cosmétique, mais chaque nouveauté respecte nos engagements. Par exemple, notre ligne sportive allie performance et durabilité, et nos cosmétiques utilisent des contenants en aluminium, rechargeables et recyclables, pour réduire les120 milliards d’emballages plastiques produits chaque année !
De continuer à créer.