QUAND LA MUSIQUE EST HAUTE

Les chemins d’Anna Magidson et de Romain Hainaut auraient pu se croiser mille fois pendant qu’ils habitaient dans la même rue de Montréal, mais c’est à Paris que s’est faite la rencontre décisive qui a fait d’eux le duo musical français qui monte, monte, monte. Entretien à quatre mains.

Après avoir passé leur enfance respectivement à New York pour lui et en Californie pour elle, les deux Français sont étudiants à l’université McGill à Montréal, habitent dans la même rue et ne s’étaient jamais rencontrés. Ils ne le savaient pas encore mais quand Romain créé le groupe Facebook « McGill Producers » en 2010, c’est l’aventure Haute qui commence. « Je ne l’avais pas écrit dans le groupe mais je cherchais une chanteuse, car je savais faire des bouts musicaux cool, mais pas structurer une chansons. Anna a posté une chanson qu’elle venait d’enregistrer, et dès la première écoute, je me suis dit ‘waou !’, il y a vraiment un truc à faire. Je lui ai tout de suite écrit, » raconte-t-il dans leur studio parisien.

 Si Montréal est la ville de naissance de Haute, Paris est celle qui l’a façonné. Tout d’abord par une première rencontre en personne, au hasard de vacances passées en France pour les deux musiciens. Puis grâce à la signature au label Diez, que Romain avait rencontré dans ce qu’il conviendrait déjà d’appeler une première partie de carrière lorsqu’il faisait de l’électro et de la house.

 Culturellement, ils se revendiquent franco-américains. « Quand tu es là-bas, tu es Français, quand tu es ici, les gens te voient américain, » dit Anna. « Il y a toujours des petits trucs où tu sais que tu n’es pas complètement chez toi, et chez toi dans les deux pays. » Alors Montréal était une évidence. « C’est un peu l’île du métissage franco-américain. Les Québécois sont vraiment nés des deux cultures et ça, c’est vraiment cool d’avoir cet endroit où tu peux parles les deux langues. Et puis tu as les Carambars et les Reese’s Pieces ! »

 Ils auraient pu tenter l’aventure américaine, biberonnés tous les deux à cet idée que « tu peux devenir qui tu veux, faire ce que tu veux. Du coup, ça laisse énormément de place aux passions, » dit Anna.  Mais leurs diplômes en poche, ils saisissent une opportunité de rentrer à Paris. Pour capitaliser sur le buzz généré par un premier passage sur Nova, mais aussi par envie, notamment pour Anna, à qui la culture française manquait. « Quand on est découverts, il faut suivre, » analyse Romain.

 Calvi on the Rocks, Rock En Seine, ils enchaînent les scènes. Anna, fille d’artiste, est presque une vétérane qui dévoile une chanteuse de la trempe d’Amy Winehouse, les excès en coulisses en moins. « C’est drôle parce que sur certaines dates, les gens faisaient la remarque que ce n’était pas du playback, que ça faisait longtemps qu’ils n’avaient pas entendu quelqu’un chanter. » « Peureux de la scène » qui envisageait jusqu’alors de faire comme Daft Punk en se masquant, Romain se force. « Petit à petit, j’ai lâché prise de mes insécurités et peurs. » Jusqu’à dévoiler sa voix sur leur morceau SHUT ME DOWN.

 En 2018, le pari paie. Finaliste du Midem Artist Accelerator, Haute se dévoile pleinement comme une de ces pépites comme on en trouve parfois au détour d’une playlist : un son qui séduit aux premières notes, des paroles à la fois familières et intensément personnelle. La création est l’alchimie entre les paroles sensées d’Anna la philosophe et les tempos pointus de Romain l’instinctif. « Anna écrit beaucoup mais aucun texte superficiel. Tout est basé sur des expériences vécues, » dévoile son comparse. « Avant, la musique était magique pour moi. Je ne comprenais pas comment ça marchait, j’avais toujours créé à l’oreille. En apprenant les bases de la composition, je me suis rendu compte qu’on est vraiment biaisé dans notre apprentissage de la musique, puisqu’on apprend une manière de faire. On s’en rend compte en découvrant la musique d’autres cultures qui utilisent des gammes ou notes qu’il ne ‘faut pas’ utiliser et qui sont belles. » Et elle d’ajouter qu’ils partagent « la même vision, l’envie de faire quelque chose d’accessible, d’énergisant, d’entêtant, de pop. Mais avec un message, de la pop complexe. Que ce soit vrai ! »

 S’ils s’accordent sur le terme d’électrochill pour définir leur musique, ils ne s’offusquent pas d’être parfois qualifiés de pop. « Il ne faut pas oublier que pop vient de populaire. Moi j’ai longtemps voulu être niche et underground dans ma petite cave, à faire des choses que 3 personnes allaient écouter, parce que « pop » avait cette connotation assez sale dans le monde de la musique. Mais quand on se demande ce qu’est la bonne musique, il ne faut pas oublier que le critère est une musique qui parle à énormément de gens. Manu Chao, Buena Vista Social Club, ce sont des trucs qu’on met partout, comme si tout le monde s’accordait pour dire que c’est bon. De la pop qui dure, c’est ma définition de la bonne musique, » rappelle-t-elle volontiers. Et Romain de rajouter que faire de la pop, c’est avant tout être de son temps et trouver son public. « Il ne faut pas oublier qu’elle s’inspire de genres plus indé que personne ne connaît et se renouvelle par ce biais. ‘Pop’ est devenu un mot ingrat alors qu’il ne devrait pas l’être. »

Alors auraient-ils déjà trouvé la recette du secret ? « C’est vraiment mathématique, et je trouve ça fascinant. Ce que j’aime beaucoup la pop en particulier, c’est que c’est fait pour te faire kiffer. Les succès pop, c’est ceux qui trouvent ce qui va marcher dans ton cerveau, neurologiquement, ça me fascine, » dévoile Anna.

 Métissage aussi de leurs influences, parmi lesquelles il y a Pink Floyd, 50Cents, Buena Vista Social Club, Manu Chao mais aussi Led Zepplin, Travis Scott ou les grandes chanteuses du jazz. « Les influences qui me définissent à jamais, ce sont justement des artistes qui m’ont donné envie de faire de la musique, au final, et que j’ai découverts dans mon salon ou dans la voiture de mes parents, dans l’iTunes de mon père. La manière dont j’ai toujours fait de la musique, c’est en essayant de comprendre comment c’était fait pour essayer de produire les mêmes sonorités, » pour Romain. Un univers éclectique qui trouve son intersection dans la scène montréalaise sans lequel « on ne peut pas parler de l’histoire d’Haute » de l’aveu d’Anna. « Elle nous a définit tous les deux. Moi, j’étais avant dans le jazz et j’ai commencé à vouloir m’épanouir dans le hip-hop, l’électro. Romain a commencé à s’inspirer de producteurs comme Kaytranada, Pomo… »

 S’ils enchaînent les sorties concluantes en EP et les apparitions en showcase, ils se laissent le temps de bien faire et de démontrer leur style, ce mélange chaleureux, groove et bonne ambiance qui les caractérise. « Le défi de l’album était donc de garder tous les styles musicaux qu’on aime et en faire un travail cohérent, » dit Romain, avant qu’Anna ne conclue que « la fin d’un cycle, c’est le début d’un nouveau. J’aime à penser que nous sommes des gens positifs donc c’est toujours un début, jamais la fin. C’est une grande étape. »

Crédits mode /
1 / Anna porte une combinaison velours lisse Neith Nyer et un body Repetto.

2 / Romain porte un blouson de Stella McCartney, un jogging matelassé Lacoste et des baskets Both.

3 / Anna porte une robe tube de Y/Project.

4 / Romain porte une veste One Culture. Anna porte une combinaison velours lisse Neith Nyer et un body Repetto.

5 / A gauche, Romain porte une veste Koché, un pull Acné Studios, un pantalon Oneculture, une écharpe Léo et des baskets Buttero. A droite, gros plan Romain porte une veste Oneculture.

6 / A gauche, Anna porte une veste imprimée et un pantalon vinyl Proêmes de Paris. Romain porte une veste Koché, un pull Acné Studios, un pantalon Oneculture, une écharpe Léo, et des baskets Buttero. A droite, en pied : Romain porte une veste Oneculture et des Converses.

  • Ad / Alexandre Silberstein

  • Photos / Alexandre Silberstein / Joris Henne

  • Style / Christine Lerche / Barbara Boucard

  • Mak up / Hair / Isis Moenne Loccoz

  • Produced / 1nstant.fr

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