Pour élaborer un langage, une grammaire propre, Christa Bösch et Cosima Gadient, duo créatif de la marque Ottolinger, expérimentent l’usage des matériaux bruts et techniques industrielles, comme le bec Bunsen. Leur objectif ? Redéfinir ou du moins renouveler le concept du beau. Et faire vivre de concert la couture et l’âme punk.
« Nous travaillons à un look, et en cela à de la couture, mais selon un terme et une idée qui ne correspondent pas à l’acception traditionnelle du mot.”
Vous vous êtes rencontrées à l’école de Design de Bâle. C’est là que vous avez constaté que vous partagiez la même esthétique et le même humour.
Notre travail repose sur un dialogue permanent qui enrichit la marque. Bien que nous n’ayons pas le même avis sur tout, nous partageons une vision commune au sujet du label. Notre amitié, nos centres d’intérêts communs et un sens de l’humour identique en est la base !
Quand et comment avez vous fondé Ottolinger ? Pourquoi ce nom ?
Nous avons débuté notre collaboration alors que nous avons déménagé de Bâle à Berlin. Le choix du nom est le fruit du hasard : il était inscrit sur la plaque de la sonnette du voisin de notre premier studio berlinois. Comme nous n’avions pas de sonnette sur notre porte, nous étions obligé d’indiquer Ottolinger pour le courrier. Quand nous avons déménagé dans un autre studio, nous avons conservé le nom !
Quelles étaient les pièces de votre première collection ?
Nous avons présenté notre première collection en février 2016, lors de la VFiles Runway show à la Fashion Week de New York. Nous avions travaillé sur des matériaux bruts à l’aide d’un bec Bunsen et nous avions laissé les coutures ou les bords s’élimer et avions également poncé la surface des tissus à l’aide de papier abrasif. Nous nous intéressons à l’extrême forme de la beauté. C’est une démarche assez complexe qui cherche à étudier comment la mode créé une identité.
La marque Ottolinger est souvent qualifiée de mix entre le punk et la couture…
Nous-même n’avons jamais décrit notre marque de punk. C’est un qualificatif sur lequel semble s’unir la presse, certainement à cause la façon assez expérimentale dont nous travaillons les matériaux. En premier lieu, nous cherchons à faire éclore notre propre définition de la couture, à créer quelque chose d’inattendu et d’unique. A trouver l’inspiration dans des choses a priori incompatibles. Nous travaillons à un look, et en cela à de la couture, mais selon un terme et une idée qui ne correspondent pas à l’acception traditionnelle du mot.
La Suisse dont vous êtes originaires et Berlin où vous vivez. Que vous apportent exactement ces identités ?
La Suisse nous inspire fortement car c’est notre patrie. Nous combinons à cela Berlin, où nous vivons. Ces deux endroits forment un contraste fort, une juxtaposition de choses qui ne vont pas forcement ensemble. Nous aimons cette polarité.
Que cherchez vous à exprimer avec ce mélange entre couture et tradition ?
Nous sommes en perpétuelle quête de beauté. La beauté classique ou idéale ne nous intéresse pas ; il s’agit plutôt de trouver une frontière ténue qui laisse de la place pour le bizarre et l’inattendu. Quelque chose de cru et de non policé qui incite à une affirmation très personnelle. Nous ne prêtons pas d’importance à la perfection, nous aimons la graduation entre le beau pur et l’artifice pur.
Quel est le point d’équilibre entre la création expérimentale et la production de masse vers laquelle tend une marque ? Où vous situez vous et quelle direction voulez-vous donner à Ottolinger ?
Nous sommes à la recherche d’une voie intermédiaire dans laquelle les deux sont compatibles. Nous pensons que la force d’Ottolinger se situe justement dans la combinaison de ces deux éléments. La plupart de nos approches expérimentales sont nées du fait que nous n’avions pas les ressources et les moyens nécessaires. Cela rend créatif ! A l’avenir, nous souhaitons travailler étroitement avec des fabriques et des fabricants de tissus.
Pourrait-on dire que vous faites des vêtements pour les misfits ?
Nos vêtements s’adressent à tout le monde. Le thème des misfits est plutôt lié à une approche conceptuelle. Nous trouvions cela excitant de créer une tension en juxtaposant des choses qui ne vont pas ensemble.
Décrivez nous la collection PE 2018…
Elle se base sur des tissus et des procédés de fabrication suisses traditionnels centenaires. Nous nous sommes rendus dans ces lieux où ce type de tissus est produit et nous avons développé notre propre version. La collection regroupe aussi une série de détails et d’accessoires qui illustrent notre background suisse. Par exemple les Goldvreneli-Münzen, de fausses pièces d’or, à la fois bijou et porte bonheur, sur lesquelles nous avons gravé Ottolinger. Nous avons aussi imaginé une ligne de maillots de bain, de sac, tout comme une sérigraphie des artistes Georgia Gardner Gray et Rafal Skoczek.
Qu’est ce qui a changé après 2 années d’existence, tant dans le style que dans votre production ?
En réalité, nous apprenons et progressons quotidiennement. Nous sommes toujours à la recherche de notre propre vocabulaire et de notre ADN.
- Interview / Judith Spinoza
- Ad / Vinz
- Produced / 1nstant.fr