Si vous ne savez pas qui est Aurélie Jean, un rapide tour d’horizon sur Google vous apprend ceci : ministrable en 2019 (au Numérique), cette docteure en science, nerd assumée et grande communicante, à cheval entre la France et les États-Unis, a de longue date décidé de briser les tabous autour du numérique, de la data et surtout autour de la place de la femme dans la science.
Vous apprendrez aussi que cette amie d’1nstant qui décrypte les dessous de la data mode est une experte des bons mots et des phrases percutantes. “Le code est le moyen efficace pour l’émancipation de la femme.” “Raconter une histoire, c’est savoir inspirer les gens.” “Les leaders de demain doivent penser comme des codeurs.” “J’aime dire que la transformation digitale est terminée.” Autant de manières d’exprimer sa croyance inébranlable : que la machine (informatique, numérique ou digitale) n’est pas une chimère féroce et indomptable (en plus d’être allergique aux femmes) mais un animal destiné à aider l’humanité.
Dans “De l’autre côté de la machine” (collection De Facto, Editions de l’Observatoire, 18€), elle entreprend de démystifier les algorithmes en nous emmenant sur les chemins de cette logique qui nous a accompagné de l’Antiquité à nos jours. Rencontre.
Qui es-tu, Aurélie Jean ?
Vaste question (rires…) ! Je suis numéricienne et entrepreneure, je développe des algorithmes dans de nombreux domaines afin de faire des analyses, des prédictions, ou répondre à des questions. J’enseigne également l’algorithmique à l’université, je conduis des travaux de recherche, et j’écris chaque semaine dans Le Point sur des sujets scientifiques et technologiques, et régulièrement pour 1nstant et ELLE international.
Mes amis diraient de moi que je suis curieuse, joyeuse, bosseuse, un peu nerd tout de même (rires…), loyal, et que j’ai un super sens de l’humour !
Pourquoi as-tu décidé d’écrire ton nouvel ouvrage ?
J’ai accepté d’écrire sur mon histoire à la suite d’une rencontre avec le philosophe Gaspard Koenig (qui dirige la collection De Facto dans laquelle est mon livre), initiée par Sébastien Le Fol (directeur de la rédaction du magazine Le Point). J’ai décidé d’écrire ce premier livre pour plusieurs raisons. Tout d’abord je souhaitais démystifier la discipline en donnant une grille de lecture intelligible sur ce sujet à travers ma propre expérience sur ces 20 dernières années. Je voulais également que les gens comprennent mieux les mécanismes technologiques et donc les grands enjeux sociétaux, économiques et technologiques de notre temps, de façon à ce qu’ils puissent tous à la hauteur de leurs moyens alimenter les débats actuels autour de l’IA. Enfin, j’espérais pouvoir influencer des générations de futurs scientifiques et chercheurs de l’IA, et en particulier les filles.
Quand on sait qu’il y a 1 enfant sur 5 dans le monde qui n’a pas accès à une éducation, on réalise le chemin qui reste à parcourir.
Aurélie Jean, 2019
Est-ce que tu peux le résumer sans le spoiler ? 😉
Tout commence en 2000 dans ma chambre de jeune étudiante, avec mon premier ordinateur. Le lecteur est ensuite invité à écrire à la main avec moi mon premier algorithme lors d’un cours de sciences informatique à Sorbonne Université en 2001. On se balade ensuite dans ma thèse de doctorat, on part ensemble pour les US en 2009, puis on découvre les biais algorithmiques dans ma recherche médicale à l’Université d’État de Pennsylvanie. J’aborde mes différences expériences avec les biais algorithmiques, mes propres erreurs et ce que j’ai appris. Je présente ensuite mes réflexions personnelles sur les algorithmes, les biais, et tous les maux dont on les accuse (racisme, sexisme…). À travers ce livre, le lecteur avance à mes côtés, dans mon parcours, pour découvrir le monde des algorithmes qui ne sera plus un secret dans les dernières pages.
Art oratoire, storytelling… pour une scientifique, tu en sais beaucoup sur la partie créative ! Pourquoi, comment…?
Je suis une introvertie (mais pas timide), donc j’ai appris depuis toujours à me cacher derrière des histoires pour raconter mon travail, ma vie, une manière pour moi d’orienter les gens à se concentrer sur l’histoire et pas moi ! (Rires.) Je pense être créative, j’ai toujours fait du dessin au fusain ce qui m’a beaucoup aidée à développer mon sens de l’abstraction (en plus de faire des mathématiques !). En dessin on doit faire abstraction de la chose qu’on observe afin de bien la dessiner… sinon on risque de dessiner notre idée de la chose et non la chose dans sa réalité.
Quelle histoire veux-tu mettre en avant, entre le numérique, la place de la femme dans les sciences ?
Il y a tellement d’histoires ! J’aime l’histoire du grand professeur Richard Feynman qui a selon moi influencé de grands scientifiques à vulgariser leurs travaux afin de transmettre au plus grand nombre! La transmission est un de mes nombreux combats! J’aime aussi les histoires de toutes ces femmes qui se sont battues dans l’Histoire pour donner aux femmes une éducation, des connaissance et donc de l’indépendance intellectuelle. Je pense à Madame du Châtelet qui au 18ème siècle organisait en secret des séances de travail pour les femmes de son entourage. Je pense aussi à une femme contemporaine extraordinaire Fereshteh Forough qui a créé des écoles de code informatique pour les filles en Afghanistan. L’éducation est la clé pour l’émancipation sociale, intellectuelle et économique des individus. Quand on sait qu’il y a 1 enfant sur 5 dans le monde qui n’a pas accès à une éducation, on réalise le chemin qui reste à parcourir.
Et le futur, dans tout ça ?
Les algorithmes ne prédiront jamais de manière absolue l’avenir. Peu importe ce que vous dit un algorithme, au final c’est vous qui décidez… n’oubliez pas non plus d’écouter votre intuition !