Fondatrice du label Les Fleurs Studio depuis 2019, l’influenceuse et créatrice de mode espagnole, Maria Bernad, réinvente ce tissu si ancestral qu’est la dentelle. Une manière d’exprimer la délicatesse et l’obscurité. Par Adèle BARI.
Il y a une certaine grâce dans les créations de María Bernad. En alliant les étoffes d’époque à une mode plus émancipée des préceptes féminins, la créatrice espagnole redore la poussiéreuse dentelle des années 1920 dans un tout autre registre. Car elle n’hésite pas à la mêler à son goût prononcé pour l’art gothique qu’elle chérit depuis son adolescence, et à ses multiples références mystiques. Elle s’inspire également d’une Vivienne Westwood qui associait deux mondes avec ses corsets aux allures punk, ou des teintes sombres du Japonais Yohji Yamamoto, lequel a connu une ascension fulgurante dans les années 1980. María Bernad, elle, a lancé sa marque en 2019 à Paris en s’imposant une exigence : celle de produire des pièces durables uniquement à partir de tissus et de vêtements existants. Avec Les Fleurs Studio, la jeune créatrice connaît depuis un certain succès pour ses robes au crochet aux airs de toile d’aranéide, ou pour ses sacs-à-main en forme de cœur sur lesquels apparaissent de jeunes nymphes.
Vous avez baptisé votre société Les Fleurs Studio (après l’avoir au départ intitulée Les Fleurs vintage). Que signifient ces mots ?
Je souhaitais séparer ma marque de ma personnalité d’influenceuse pour que le public puisse dissocier les deux. Pour le nom, je me suis inspirée de ma mère et de sa passion pour les fleurs. Dans sa maison, il y a ce grand jardin botanique rempli de différentes variétés, dont elle connaît même le nom latin. J’ai préservé les mots en français comme un clin d’œil aux souvenirs que j’ai partagés avec ma famille pendant nos vacances en France.
Dans vos créations, nous voyageons un peu à une autre époque grâce à votre utilisation, avec beaucoup de finesse, de dentelle ancienne. Ce choix vous renvoie-t-il à une période historique précise ?
J’utilise le crochet en me référant aux années 1940 à 1960 en Espagne, où il était très commun de trouver ce savoir-faire sur les tables, les consoles ou les rideaux. Ma grand-mère s’en servait pour habiller sa maison. Je réutilise même certains de ses objets pour ma marque, comme ses coussins en dentelles.
Qu’aimez-vous dans la dentelle, qui en réalité daterait du XVIème siècle dans la région de Venise ?
La dentelle est pour moi un tissu particulièrement délicat, beau à regarder et au toucher doux, qui était autrefois confectionnée à la main pendant des heures par des femmes. J’aime honorer cette force féminine. Et puis, on peut réaliser beaucoup de choses avec elle…
Où récupérez-vous vos autres chutes de tissus ?
Je regarde partout. En France, beaucoup d’endroits proposent du vintage, alors je traverse les marchés et vide-greniers pour chiner les perles rares. Je parcours en ligne sur des plateformes de seconde main et retravaille des pièces en cuir, en coton, en lin et de la corseterie vintage des années 1920, 1930 ou 1940. Je réutilise également des tailleurs que je déconstruis pour reconstruire. Cela reste beaucoup de recherches.
L’utilisation de la dentelle peut également refléter votre fascination pour les histoires mythologiques, en particulier des nymphes. Que représente ce personnage féminin pour vous ?
Les nymphes sont des protectrices de la forêt, dont leurs étoffes restent une grande inspiration pour moi. Je m’inspire très souvent des scènes oniriques présentes dans la peinture romantique. Dans ma dernière collection, j’ai souhaité réaliser un dualisme entre ce que nous sommes aujourd’hui et ce qu’étaient les nymphes et les femmes d’autrefois. De manière générale, j’ai également toujours été intéressée par les histoires grecques autour des dieux.
Certains visages couverts, visibles dans vos lookbooks, me font penser à ceux des madones. Quelle place prend la religion dans votre marque ?
L’histoire de l’Espagne se définit par une grande présence du catholicisme, et de nombreux symboles en témoignent. En grandissant dans ce pays, ces histoires m’ont fascinée et j’intègre désormais de nombreuses références dans mes créations, en voilant effectivement mes mannequins de dentelle, comme de la pudeur.
Vos vêtements ne s’adresseraient-ils pas à un public moins pudique ?
Mes créations s’adressent à tous les genres ! Elles mettent en valeur les fortes personnalités, qui sont néanmoins dotées d’un esprit plus romantique et sensible. Je dirais qu’elles sont également destinées aux personnes qui éprouvent un intérêt pour la mode, l’histoire et la durabilité.
Lorsque nous visualisons vos collections, une certaine rébellion féminine aux inspirations gothiques réside derrière toute cette délicatesse. Comment souhaitez-vous représenter les femmes ?
J’ai un esprit gothique en moi depuis que je suis adolescente, effectivement omniprésent dans ma marque. C’est également une manière pour moi de représenter une femme à la fois puissante et sombre. Quand j’ai commencé à travailler dans la mode, j’avais l’impression que de nombreuses personnes ne me prenaient pas au sérieux car je portais beaucoup de couleurs, et leur paraissais légère. Mais lorsque je suis vêtue de noir, j’ai l’impression d’avoir beaucoup plus de crédibilité face à eux.
Vos couleurs semblent d’ailleurs profondément rattachées à la nature.
Je dispose toujours de ma propre palette grandement inspirée par les couleurs de la terre. Différentes nuances de brun ou de noir, en passant par du saumon, du beige, du bleu et parfois du vert. Aucune couleur n’apparaît pas dans l’environnement !
Quel est votre rapport politique et personnel avec la terre ?
Comme on le sait, la mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde. Avec Les Fleurs Studio, j’ai souhaité créer une entreprise avec une production plus lente, comme l’on pouvait le réaliser dans le passé. Le sur-mesure se définissait par des modèles uniques, des tissus avec une histoire et qui ont voyagé dans le temps. Nous produisons alors directement ce que nous dessinons, avec zéro déchet et pas de délocalisation. C’était très important pour moi de franchir toutes les étapes pour devenir une marque durable à part entière.
Pour terminer, accepteriez-vous de nous décrire un look de votre dernière collection en nous racontant son histoire fictive ?
J’aime beaucoup l’histoire des sorcières et les références à Salem. Le look 3, porté par mon amie Maryam, est une robe réalisée à partir d’un ancien foulard espagnol d’une qualité notable. Le mannequin s’est glissé dans la peau d’une sorcière sortie d’une forêt, qui pour moi, représente cette femme puissante et mystérieuse. Comme personne ne souhaite la voir, elle a le visage couvert. Elle est rejetée pour son opinion, pour sa voix et pour cette force qui impressionne autrui.